[Interview] David Lowery (Les Amants du Texas)
Publié le 16 Septembre 2013
Début septembre, entre deux excursions à Deauville où son film était projeté en sélection officielle, David Lowery était à Paris pour présenter Les Amants du Texas, son second métrage, qui sort sur les écrans français le 18 septembre prochain. Lors d'une table ronde organisée dans un prestigieux hôtel parisien, nous avons eu l'occasion de rencontrer ce réalisateur très prometteur (il était dans une liste de 10 talents à suivre de Variety en 2012) en compagnie d'autres blogueurs (Filmosphere, Les Chroniques de Cliffhanger et Mr Awesome pour ne pas les citer).
Très amical, David Lowery a répondu à toutes nos questions et a fourni à celles-ci des réponses à la fois intéressantes et très complètes. Notre compte-rendu de la rencontre est à découvrir ci-dessous.
A l'origine des Amants du Texas, il y avait deux envies pour David Lowery. La première: celle de faire un film d'action "old fashion" qui soit marqué de l'empreinte des films américains traditionnels des années 70, voire 60, et des propres souvenirs du réalisateur de ces films. La seconde: l'envie de faire un film qui résonne comme une vieille chanson folk. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que Les Amants du Texas a pour titre original Ain't Them Bodies Saints. David Lowery a en effet décidé de reprendre les paroles d'une chanson de country entendue six ou sept ans auparavant. Elevé dans un foyer catholique, il aime notamment le fait que le mot "saint" ait plusieurs significations et puisse se reporter directement aux personnages du long-métrage. "Dans le film, tout le monde essaye de faire les bons choix" explique le réalisateur. Avec Les Amants du Texas, il a voulu raconter une histoire simple à l'ancienne avec comme point de départ un homme s'évadant de prison et qui se situerait dans la continuité de Bonnie & Clyde, mais avec la particularité de commencer "là où se terminent la plupart des films".
Tout comme son premier long-métrage St. Nick (inédit en France), Les Amants du Texas se déroule - comme le souligne d'ailleurs son titre français - dans l'Etat du Texas. Un choix logique pour David Lowery : "J'y ai déménagé quand j'avais sept ans. J'ai tout d'abord vraiment détesté le Texas. Puis je m'y suis habitué et c'est devenu une partie de mon identité." Pour la période temporelle, deux raisons l'ont poussé à choisir les années 70 : "Tout d'abord, je pensais qu'avec des téléphones portables et Internet, le film ne fonctionnerait pas. Si les personnages pouvaient communiquer par SMS, le film ne pourrait pas fonctionner de la même manière. Il fallait qu'ils s'écrivent des lettres. C'est la première raison. Une raison purement pratique. Ensuite, nous avons choisi de placer l'histoire en 1976-1977, car je suis né en 1980 et en placant le film avant ma naissance c'était ainsi le passé pour moi aussi. Un monde qui m'est étranger. Nous n'avons pas vraiment respecté de règles pour les appareils électroniques et les voitures : la plus récente voiture date de 1983, la plus ancienne de 1968. De telle manière que le film semble se dérouler dans le passé, mais la période reste imprécise."
"Je ne sais pas si c'est la même chose en France mais aux Etats-Unis - surtout dans le Sud - les choses ne changent pas. Tout le monde porte de vieux vêtements, tout le monde conduit de vieilles voitures. Ce sont toujours les mêmes stations-service et restaurants. Vous ne savez pas dans quelle époque vous êtes. Il n'y a pas de nouveaux bâtiments, rien de neuf. Et j'aime vraiment ça. J'aime le fait de pouvoir conduire jusque chez moi et traverser ce paysage qui semble perdu dans le temps. C'est ce que j'ai voulu capturer avec ce film."
Pour en revenir aux lettres, très présentes dans le film : "C'est quelque chose qui était là dès le tout début de l'écriture. Le fait est que j'adore les lettres. J'aime tout autant en écrire qu'en recevoir. Quand ma femme et moi avons commencé à nous fréquenter, nous vivions dans des villes différentes et communiquons essentiellement par lettres. C'était important pour moi d'en inclure dans le film pour renforcer la romance entre les personnages. L'écriture, la texture du papier... tout ça était important pour moi. A un moment, j'ai pensé supprimer la voix-off et juste montrer les lettres à l'écran. Le spectateur aurait ainsi eu à les lire de lui-même. Lire fait partie de l'essence des lettres. Mais j'ai senti que ça ne fonctionnerait pas dans ce film. Dans une scène, vous voyez juste les mots sans voix-off, mais la plupart du temps, on a trouvé plus raisonnable d'utiliser une voix-off."
Si l'esthétique des Amants du Texas ressemble beaucoup à celle des Moissons du ciel, David Lowery avoue ne pas avoir donné de références malickiennes à son directeur de la photographie (Bradford Young, récompensé à Sundance) : "Nous n'avons jamais regardé aucun film de Terrence Malick ensemble. Je connais, et lui aussi sans aucun doute, les films de Malick: Les Moissons du ciel, The Tree of Life,... En fait, les similarités entre ses films et les nôtres s'imposent d'elles-mêmes. Il suffit de marcher dehors sous un coucher de soleil texan pour retrouver Les Moissons du ciel. C'est juste ce à quoi le paysage ressemble. Nous voulions que le film soit magnifique. En été, entre quatre et sept heures de l'après-midi, c'est absolument magique. Nous avons filmé ce qui nous voulions, et je ne suis pas surpris des parallèles qui peuvent être faits avec l'oeuvre de Terrence Malick parce que c'est ce à quoi ressemble la nature dans ce type d'histoires".
Lorsqu'on lui demande quelles ont été ses inspirations musicales pour le film, il cite en tout premier lieu Joanna Newsom, l'une de ses musiciennes préférées, qui a été, selon ses mots, une influence majeure pour l'ambiance du film. Il donne aussi les noms de Bob Dylan, Nick Cave, John Prine et Bill Callahan. "Pratiquement tous ceux qui ont fait - plus ou moins récemment - de la musique folk en Amérique, précise-t-il. Plusieurs artistes ont réalisé différentes versions d'une même chanson. Par exemple, Nick Cave et Bob Dylan avec la chanson Henry Lee. J'aime le fait que bien que les interprétations soient différentes, l'idée reste la même, et c'est exactement ce que j'ai voulu faire avec ce film."
"Le compositeur du film était sur mon premier court-métrage. J'ai très vite réalisé qu'il comprenait ce que je voulais sans même avoir besoin de le lui dire. Il sait que j'aime ce genre de choses. Je lui ai montré une performance live de Joanna Newsom que j'aime beaucoup, et ce folk sombre était certainement ce que je cherchais pour le film, mais je ne lui ai donné aucun direction avant qu'il ne commence à travailler. Et même après, je suis intervenu que très peu. Il me faisait écouter un morceau et c'était 99% du temps parfait. Je ne m'attendais pas à ce que la musique tienne un rôle aussi important dans ce film. Ca s'est passé surtout au montage. D'un côté, je ne voulais pas inclure trop de musique dans le film, mais j'étais tellement satisfait des morceaux qu'il avait composés qu'on a décidé de faire de la musique un personnage à part entière."
Le montage, une phase que le réalisateur affectionne tout particulière : "Je préfère la phase de tournage à celle d'écriture, mais j'aime par dessus tout celle de montage. C'est le moment où le film prend vie. C'est une période que je voudrais sans fin, c'est d'ailleurs dûr pour moi d'arrêter. Je sens que le film a encore besoin d'être peaufiner, mais je dois m'arrêter car il doit être projeté quelque part. Le montage, c'est le moment où la magie du cinéma s'effectue. Ce que vous aviez filmé prend alors une tout autre forme : parfois pour devenir ce que vous en attendiez, d'autres fois pour devenir quelque chose que vous n'auriez jamais pu prévoir."
Sur le casting de Ben Foster : "Casey était mon premier choix pour le personnage de Bob, mais je n'étais pas sûr qu'il allait accepter le rôle. J'ai donc envoyé le script à d'autres acteurs, et Ben Foster était l'un d'entre eux. C'est un acteur que j'aime beaucoup. Il a adoré le script et voulait le rôle de Casey. Mais lorsque je l'ai rencontré, j'ai réalisé que c'était un vrai gentleman, ce dont à quoi je ne m'attendais pas du tout. J'étais habitué à le voir camper des rôles de vilains et de personnages étranges à l'écran. Le rencontrer en personne a été l'occasion de voir une autre facette de sa personnalité : un homme gentil, généreux et amical. J'ai alors compris qu'il était parfait pour le rôle du shérif. Pas seulement parce que c'est un acteur formidable, mais parce que cette partie de lui n'avait jamais été filmée auparavant. J'étais excité à l'idée de le sortir de sa "zone de confort". Il a accepté et a demandé à ajouter plus d'intensité au rôle. Au départ, j'avais écrit le personnage comme un prolongement de moi-même : un homme en retrait, gentil et solitaire, qui évite la confrontation. Il a pris ce que j'avais écrit et y a ajouté un peu de lui-même, ce qui a donné une nouvelle dimension au personnage."
David Lowery travaille actuellement sur son prochain film qui, précise-t-il, "ne se déroulera pas au Texas". Y aura-t-il davantage d'action ? "Si l'intrigue le permet. J'ai pris beaucoup de plaisir à faire les scènes d'action des Amants du Texas car elles n'ont pas ce côté émotionnel si délicat à obtenir à l'écran. Les scènes d'action, c'était juste du fun. Elles étaient très mécaniques. J'aimerais beaucoup en tourner davantage dans le futur." Et quand est-il de la comédie ? "C'est quelque chose que j'ai complètement oublié dans Les Amants du Texas. Ce film est si sérieux. J'aime les films sérieux, mais après l'avoir fait, j'ai senti qu'il allait falloir me détendre un peu. Alors le prochain film que je ferai, je m'assurerai d'y ajouter de la comédie, même si ce n'est qu'un peu. Rien de délirant, mais qui apportera un peu de joie."
De nombreux réalisateurs sont passés durant leur carrière par le petit écran. Une perspective qui plaît beaucoup à David Lowery : "J'aime beaucoup regarder des séries TV. Je suis d'ailleurs très excité à l'idée de voir la nouvelle saison de Breaking Bad. J'ai écrit un pilote de série qui sera présenté aux networks dans les prochaines semaines. J'ai grandi sans télévision et j'ai commencé à regarder des séries il y a cinq ou six ans seulement. Je regarde surtout les séries HBO et de vieux DVD. Je trouve que c'est un moyen extraordinaire de raconter des histoires."
Au sujet du remake de Peter et Elliott le dragon : "Je suis supposé travailler dessus en ce moment. Je suis encore sous le choc que Disney m'ait choisi pour l'écrire. Ils ne veulent pas faire une copie de l'original, que je n'ai pas vu depuis de nombreuses années. J'essaie donc juste d'écrire le meilleur film possible sur un garçon et un dragon. C'est un challenge plutôt fun."
Les Amants du Texas - Au cinéma le 18 septembre 2013
Réalisé par David Lowery.
Avec Rooney Mara, Casey Affleck, Ben Foster, Keith Carradine.
Bob et Ruth s’aiment, envers et contre tout. Et surtout contre la loi. Un jour, un braquage tourne mal et les deux amants sont pris dans une fusillade. Quand Bob est emmené par la police, Ruth a tout juste le temps de lui annoncer qu’elle est enceinte. Dès lors, Bob n’aura qu’une obsession : s’échapper de prison pour rejoindre sa femme et son enfant.
Mais quand il y parvient, quatre ans plus tard, le rêve correspond mal à la réalité. En fuite, poursuivi par la police et par les membres d’un gang, Bob peine à rétablir le lien avec sa famille. Ruth est devenue mère et elle ne veut pas d'une vie de cavale : courtisée par un policier attentionné, la jeune femme devra choisir entre le passé et l'avenir.
Un grand merci à David Lowery, Claire & Florian pour cette rencontre inoubliable.
Merci également à @cliffhangertwit.