Un chant de noel (8/12)

Publié le 12 Décembre 2006

Résumé : Scrooge, un homme méchant et qui déteste Noel, recoit la visite du spectre de son ancien associé. Celui-ci lui explique que Scrooge va recevoir la visite de trois esprits qui vont essayer de le ramener dans le droit chemin.

8ème partie

Un diner chez les Cratchit

Alors se leva mistress Cratchit, la femme de Cratchit, pauvrement vêtue d’une robe retournée, mais, en revanche, toute parée de rubans à bon marché, de ces rubans qui produisent, ma foi, un joli effet, pour la bagatelle de douze sous. Elle mettait le couvert, aidée de Belinda Cratchit, la seconde de ses filles, tout aussi enrubannée que sa mère, tandis que maître Pierre Cratchit plongeait une fourchette dans la marmite remplie de pommes de terre et ramenait jusque dans sa bouche les coins de son monstrueux col de chemise, pas précisément son col de chemise, car c’était celle de son père ; mais Bob l’avait prêtée ce jour-là, en l’honneur de Noël, à son héritier présomptif, lequel, heureux de se voir si bien attifé, brûlait d’aller montrer son linge dans les parcs fashionables. Et puis deux autres petits Cratchit, garçon et fille, se précipitèrent dans la chambre en s’écriant qu’ils venaient de flairer l’oie, devant la boutique du boulanger, et qu’ils l’avaient bien reconnue pour la leur. Ivres d’avance à la pensée d’une bonne sauce à la sauge et à l’oignon, les petits gourmands se mirent à danser de joie autour de la table, et portèrent aux nues maître Pierre Cratchit, le cuisinier du jour, tandis que ce dernier (pas du tout fier, quoique son col de chemise fût si copieux qu’il menaçait de l’étouffer) soufflait le feu, tant et si bien que les pommes de terre en retard rattrapèrent le temps perdu et vinrent taper, en bouillant, au couvercle de la casserole, pour avertir qu’elles étaient bonnes à retirer et à peler.

« Qu’est-ce qui peut donc retenir votre excellent père ? Dit mistress Cratchit. Et votre frère Tiny Tim ? et Martha ? Au dernier Noël, elle était déjà arrivée depuis une demi-heure !

– La voici, Martha, mère ! s’écria une jeune fille qui parut en même temps.

– Voici Martha, mère ! répétèrent les deux petits Cratchit. Hourra ! si vous saviez comme il y a une belle oie, Martha !

– Ah ! chère enfant, que le bon Dieu vous bénisse ! Comme vous venez tard ! dit mistress Cratchit l’embrassant une douzaine de fois et la débarrassant de son châle et de son chapeau avec une tendresse empressée.

– C’est que nous avions beaucoup d’ouvrage à terminer hier soir, ma mère, répondit la jeune fille, et, ce matin, il a fallu le livrer !

– Bien ! bien ! n’y pensons plus, puisque vous voilà, dit mistress Cratchit. Allons ! asseyez-vous près du feu et chauffez-vous, ma chère enfant !

– Non, non ! voici papa qui vient, crièrent les deux petits Cratchit qu’on voyait partout en même temps. Cache-toi, Martha, cache-toi ! »

Et Martha se cacha ; puis entra le petit Bob, le père Bob avec son cache-nez pendant de trois pieds au moins devant lui, sans compter la frange ; ses habits usés jusqu’à la corde étaient raccommodés et brossés soigneusement, pour leur donner un air de fête ; Bob portait Tiny Tim sur son épaule. Hélas ! le pauvre Tiny Tim ! il avait une petite béquille et une mécanique en fer pour soutenir ses jambes.

« Eh bien ! où est notre Martha ? s’écria Bob Cratchit en jetant les yeux tout autour de lui.

– Elle ne vient pas, répondit mistress Cratchit.

– Elle ne vient pas ? dit Bob frappé d’un abattement soudain, et perdant, en un clin d’oeil, tout cet élan de gaieté avec lequel il avait porté Tiny Tim depuis l’église, toujours courant comme son dada, un vrai cheval de course. Elle ne vient pas ! Un jour de Noël ! »

Martha ne put supporter de le voir ainsi contrarié, même pour rire ; aussi n’attendit-elle pas plus longtemps pour sortir de sa cachette, derrière la porte du cabinet, et courut-elle se jeter dans ses bras, tandis que les deux petits Cratchit s’emparèrent de Tiny Tim et le portèrent dans la buanderie, afin qu’il pût entendre le pudding chanter dans la casserole.

« Et comment s’est comporté le petit Tiny Tim ? Demanda mistress Cratchit après qu’elle eût raillé Bob de sa crédulité et que Bob eût embrassé sa fille tout à son aise.

– Comme un vrai bijou, dit Bob, et mieux encore. Obligé qu’il est de demeurer si longtemps assis tout seul, il devient réfléchi, et on ne saurait croire toutes les idées qui lui passent par la tête. Il me disait, en revenant, qu’il espérait avoir été remarqué dans l’église par les fidèles, parce qu’il est estropié, et que les chrétiens doivent aimer, surtout un jour de Noël, à se rappeler celui qui a fait marcher les boiteux et voir les aveugles. »

La voix de Bob tremblait en répétant ces mots ; elle trembla plus encore quand il ajouta que Tiny Tim devenait chaque jour plus fort et plus vigoureux.

On entendit retentir sur le plancher son active petite béquille, et, à l’instant, Tiny Tim rentra, escorté par le petit frère et la petite soeur jusqu’à son tabouret, près du feu. Alors Bob, retroussant ses manches par économie, comme si, le pauvre garçon ! elles pouvaient s’user davantage, prit du genièvre et des citrons et en composa dans un bol une sorte de boisson chaude, qu’il fit mijoter sur la plaque après l’avoir agitée dans tous les sens ; pendant ce temps, maître Pierre et les deux petits Cratchit, qu’on était sûr de trouver partout, allèrent chercher l’oie, qu’ils rapportèrent bientôt en procession triomphale.

À voir le tumulte causé par cette apparition, on aurait dit qu’une oie est le plus rare de tous les volatiles, un phénomène emplumé, auprès duquel un cygne noir serait un lieu commun ; et, en vérité, une oie était bien en effet une des sept merveilles dans cette pauvre maison. Mistress Cratchit fit bouillir le jus, préparé d’avance, dans une petite casserole ; maître Pierre écrasa les pommes de terre avec une vigueur incroyable ; miss Belinda sucra la sauce aux pommes ; Martha essuya les assiettes chaudes ; Bob fit asseoir Tiny Tim près de lui à l’un des coins de la table ; les deux petits Cratchit placèrent des chaises pour tout le monde, sans s’oublier eux-mêmes, et, une fois en faction à leur poste, fourrèrent leurs cuillers dans leur bouche pour ne point céder à la tentation de demander de l’oie avant que vînt leur tour d’être servis.

Enfin, les plats furent mis sur la table, et l’on dit le Benedicite, suivi d’un moment de silence général, lorsque mistress Cratchit, promenant lentement son regard le long du couteau à découper, se prépara à le plonger dans les flancs de la bête ; mais à peine l’eût-elle fait, à peine la farce si longtemps attendue se fût-elle précipitée par cette ouverture, qu’un murmure de bonheur éclata tout autour de la table, et Tiny Tim lui-même, excité par les deux petits Cratchit, frappa sur la table avec le manche de son couteau, et cria d’une voix faible : « Hourra ! » Jamais on ne vit oie pareille ! Bob dit qu’il ne croyait pas qu’on en eût jamais fait cuire une semblable. Sa tendreté, sa saveur, sa grosseur, son bon marché, furent le texte commenté par l’admiration universelle ; avec la sauce aux pommes et la purée de pommes de terre, elle suffit amplement pour le dîner de toute la famille. « En vérité, dit mistress Cratchit, apercevant un petit atome d’os resté sur un plat, on n’a pas seulement pu manger tout », et pourtant tout le monde en avait eu à bouche que veux-tu ; et les deux petits Cratchit, en particulier, étaient barbouillés jusqu’aux yeux de sauce à la sauge et à l’oignon.

Mais alors, les assiettes ayant été changées par miss Belinda, mistress Cratchit sortit seule, trop émue pour supporter la présence de témoins, afin d’aller chercher le pudding et de l’apporter sur la table.

Supposez qu’il soit manqué ! supposez qu’il se brise quand on le retournera ! supposez que quelqu’un ait sauté par-dessus le mur de l’arrière-cour et l’ait volé pendant qu’on se régalait de l’oie ; à cette supposition, les deux petits Cratchit devinrent blêmes ! Il n’y avait pas d’horreurs dont on ne fît la supposition.

Oh ! oh ! quelle vapeur épaisse ! Le pudding était tiré du chaudron. Quelle bonne odeur de lessive ! (c’était le linge qui l’enveloppait). Quel mélange d’odeurs appétissantes, qui rappellent le restaurateur, le pâtissier de la maison d’à côté et la blanchisseuse sa voisine ! C’était le pudding. Après une demi-minute à peine d’absence, mistress Cratchit rentrait, le visage animé, mais souriante et toute glorieuse, avec le pudding, semblable à un boulet de canon tacheté, si dur, si ferme, nageant au milieu d’un quart de pinte d’eau-de-vie enflammée et surmonté de la branche de houx consacrée à Noël.

Oh ! quel merveilleux pudding ! Bob Cratchit déclara, et cela d’un ton calme et sérieux, qu’il le regardait comme le chef-d’œuvre de mistress Cratchit depuis leur mariage. Mistress Cratchit répondit qu’à présent qu’elle n’avait plus ce poids sur le cœur, elle avouerait qu’elle avait eu quelques doutes sur la quantité de farine. Chacun eut quelque chose à en dire, mais personne ne s’avisa de dire, s’il le pensa, que c’était un bien petit pudding pour une aussi nombreuse famille. Franchement, c’eût été bien vilain de le penser ou de le dire. Il n’y a pas de Cratchit qui n’en eût rougi de honte.

Enfin, le dîner achevé, on enleva la nappe, un coup de balai fut donné au foyer et le feu ravivé. Le grog fabriqué par Bob ayant été goûté et trouvé parfait, on mit des pommes et des oranges sur la table et une grosse poignée de marrons sous les cendres. Alors toute la famille se rangea autour du foyer en cercle, comme disait Bob Cratchit, il voulait dire en demi-cercle : on mit près de Bob tous les cristaux de la famille, savoir : deux verres à boire et un petit verre à servir la crème dont l’anse était cassée. Qu’est-ce que cela fait ? Ils n’en contenaient pas moins la liqueur bouillante puisée dans le bol tout aussi bien que des gobelets d’or auraient pu le faire, et Bob la servit avec des yeux rayonnants de joie, tandis que les marrons se fendaient avec fracas et pétillaient sous la cendre. Alors Bob proposa ce toast :

« Un joyeux Noël pour nous tous, mes amis ! Que Dieu nous bénisse ! »

La famille entière fit écho.

« Que Dieu bénisse chacun de nous ! », dit Tiny Tim, le dernier de tous.

Il était assis très près de son père sur son tabouret. Bob tenait sa petite main flétrie dans la sienne, comme s’il eût voulu lui donner une marque plus particulière de sa tendresse et le garder à ses côtés de peur qu’on ne vînt le lui enlever.

« Esprit, dit Scrooge avec un intérêt qu’il n’avait jamais éprouvé auparavant, dites-moi si Tiny Tim vivra.

– Je vois une place vacante au coin du pauvre foyer, répondit le spectre, et une béquille sans propriétaire qu’on garde soigneusement. Si mon successeur ne change rien à ces images, l’enfant mourra.

– Non, non, dit Scrooge. Oh ! non, bon esprit ! dites qu’il sera épargné.

– Si mon successeur ne change rien à ces images, qui sont l’avenir, reprit le fantôme, aucun autre de ma race ne le trouvera ici. Eh bien ! après ! s’il meurt, il diminuera le superflu de la population. »

Scrooge baissa la tête lorsqu’il entendit l’esprit répéter ses propres paroles, et il se sentit pénétré de douleur et de repentir.

« Homme, dit le spectre, si vous avez un coeur d’homme et non de pierre, cessez d’employer ce jargon odieux jusqu’à ce que vous ayez appris ce que c’est que ce superflu et où il se trouve. Voulez-vous donc décider quels hommes doivent vivre, quels hommes doivent mourir ? Il se peut qu’aux yeux de Dieu vous soyez moins digne de vivre que des millions de créatures semblables à l’enfant de ce pauvre homme. Grand Dieu ! Entendre l’insecte sur la feuille déclarer qu’il y a trop d’insectes vivants parmi ses frères affamés dans la poussière ! »

Scrooge s’humilia devant la réprimande de l’esprit, et, tout tremblant, abaissa ses regards vers la terre. Mais il les releva bientôt en entendant prononcer son nom.

« À M. Scrooge ! disait Bob ; je veux vous proposer la santé de M. Scrooge, le patron de notre petit gala.

– Un beau patron, ma foi ! s’écria mistress Cratchit, rouge d’émotion ; je voudrais le tenir ici, je lui en servirais un gala de ma façon, et il faudrait qu’il eût bon appétit pour s’en régaler !

– Ma chère, reprit Bob… ; les enfants !… le jour de Noël !

– Il faut, en effet, que ce soit le jour de Noël, continua-telle, pour qu’on boive à la santé d’un homme aussi odieux, aussi avare, aussi dur et aussi insensible que M. Scrooge. Vous savez s’il est tout cela, Robert ! Personne ne le sait mieux que vous, pauvre ami !

– Ma chère, répondit Bob doucement… le jour de Noël.

– Je boirai à sa santé pour l’amour de vous et en l’honneur de ce jour, dit mistress Cratchit, mais non pour lui. Je lui souhaite donc une longue vie, joyeux Noël et heureuse année ! Voilà-t-il pas de quoi le rendre bien heureux et bien joyeux ! J’en doute. »

Les enfants burent à la santé de M. Scrooge après leur mère ; c’était la première chose qu’ils ne fissent pas ce jour-là de bon coeur ; Tiny Tim but le dernier, mais il aurait bien donné son toast pour deux sous. Scrooge était l’ogre de la famille ; la mention de son nom jeta sur cette petite fête un sombre nuage qui ne se dissipa complètement qu’après cinq grandes minutes. Ce temps écoulé, ils furent dix fois plus gais qu’avant, dès qu’on en eut entièrement fini avec cet épouvantail de Scrooge.

Bob Cratchit leur apprit qu’il avait en vue pour Master Pierre une place qui lui rapporterait, en cas de réussite, cinq schellings six pence par semaine. Les deux petits Cratchit rirent comme des fous en pensant que Pierre allait entrer dans les affaires, et Pierre lui-même regarda le feu d’un air pensif entre les deux pointes de son col, comme s’il se consultait déjà pour savoir quelle sorte de placement il honorerait de son choix quand il serait en possession de ce revenu embarrassant.

Martha, pauvre apprentie chez une marchande de modes, raconta alors quelle espèce d’ouvrage elle avait à faire, combien d’heures elle travaillait sans s’arrêter, et se réjouit d’avance à la pensée qu’elle pourrait demeurer fort tard au lit le lendemain matin, jour de repos passé à la maison. Elle ajouta qu’elle avait vu, peu de jours auparavant, une comtesse et un lord, et que le lord était bien à peu près de la taille de Pierre ; sur quoi Pierre tira si haut son col de chemise, que vous n’auriez pu apercevoir sa tête si vous aviez été là. Pendant tout ce temps, les marrons et le pot au grog circulaient à la ronde, puis Tiny Tim se mit à chanter une ballade sur un enfant égaré au milieu des neiges ; Tiny Tim avait une petite voix plaintive et chanta sa romance à merveille, ma foi !

Il n’y avait rien dans tout cela de bien aristocratique. Ce n’était pas une belle famille ; ils n’étaient bien vêtus ni les uns ni les autres ; leurs souliers étaient loin d’être imperméables ; leurs habits n’étaient pas cossus ; Pierre pouvait bien même avoir fait la connaissance, j’en mettrais ma main au feu, avec la boutique de quelque fripier. Cependant ils étaient heureux, reconnaissants, charmés les uns des autres et contents de leur sort ; et au moment où Scrooge les quitta, ils semblaient de plus en plus heureux encore à la lueur des étincelles que la torche de l’esprit répandait sur eux ; aussi les suivit-il du regard, et en particulier Tiny Tim, sur lequel il tint l’oeil fixé jusqu’au bout.

A suivre...

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Rédigé par Geotoine

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