Un chant de noel (6/12)
Publié le 5 Décembre 2006
Résumé : Scrooge, un homme méchant et qui déteste Noel, recoit la visite du spectre de son ancien associé. Celui-ci lui explique que Scrooge va recevoir la visite de trois esprits qui vont essayer de le ramener dans le droit chemin. Plus tard, le fantome de noël passé emmena Scrooge dans le passé...
6ème partie
En vieillissant
« Il faut bien peu de chose, dit le fantôme, pour inspirer à ces sottes gens tant de reconnaissance…
– Peu de chose ! répéta Scrooge. »
L’esprit lui fit signe d’écouter les deux apprentis qui répandaient leurs coeurs en louanges sur Fezziwig, puis ajouta, lorsqu’il eut obéi :
« Eh quoi ! voilà-t-il pas grand’chose ? Il a dépensé quelques livres sterling de votre argent mortel ; trois ou quatre peutêtre. Cela vaut-il la peine de lui donner tant d’éloges ?
– Ce n’est pas cela, dit Scrooge excité par cette remarque, et parlant, sans s’en douter, comme son autre lui-même et non pas comme le Scrooge d’aujourd’hui. Ce n’est pas cela, esprit. Fezziwig a le pouvoir de nous rendre heureux ou malheureux ; de faire que notre service devienne léger ou pesant, un plaisir ou une peine. Que ce pouvoir consiste en paroles et en regards, en choses si insignifiantes, si fugitives qu’il est impossible de les additionner et de les aligner en compte, eh bien, qu’est-ce que cela fait ? le bonheur qu’il nous donne est tout aussi grand que s’il coûtait une fortune. »
Scrooge surprit le regard perçant de l’esprit et s’arrêta.
« Qu’est-ce que vous avez ? demanda le fantôme.
– Rien de particulier, répondit Scrooge.
– Vous avez l’air d’avoir quelque chose, insista le spectre.
– Non, dit Scrooge, non. Seulement j’aimerais à pouvoir dire en ce moment un mot ou deux à mon commis. Voilà tout. »
Son autre lui-même éteignit les lampes au moment où il exprimait ce désir ; et Scrooge et le fantôme se trouvèrent de nouveau côte à côte en plein air.
« Mon temps s’écoule, observa l’esprit… Vite ! »
Cette parole n’était point adressée à Scrooge ou à quelqu’un qu’il pût voir, mais elle produisit un effet immédiat, car Scrooge se revit encore. Il était plus âgé maintenant, un homme dans la fleur de l’âge. Son visage n’avait point les traits durs et sévères de sa maturité ; mais il avait commencé à porter les marques de l’inquiétude et de l’avarice. Il y avait dans son regard une mobilité ardente, avide, inquiète, qui indiquait la passion qui avait pris racine en lui : on devinait déjà de quel coté allait se projeter l’ombre de l’arbre qui commençait à grandir. Il n’était pas seul, il se trouvait au contraire à côté d’une belle jeune fille vêtue de deuil, dont les yeux pleins de larmes brillaient à la lumière du spectre de Noël passé.
« Peu importe, disait-elle doucement, à vous du moins.
Une autre idole a pris ma place, et, si elle peut vous réjouir et vous consoler plus tard, comme j’aurais essayé de le faire, je n’ai pas autant de raison de m’affliger.
– Quelle idole a pris votre place ? répondit-il.
– Le veau d’or.
– Voilà bien l’impartialité du monde ! dit-il. Il n’y a rien qu’il traite plus durement que la pauvreté ; et il n’y a rien qu’il fasse profession de condamner avec autant de sévérité que la poursuite de la richesse !
– Vous craignez trop l’opinion du monde, répliquait la jeune fille avec douceur. Vous avez sacrifié toutes vos espérances à celle d’échapper un jour à son mépris sordide. J’ai vu vos plus nobles aspirations disparaître une à une, jusqu’à ce que la passion dominante, le lucre, vous ait absorbé. N’ai-je pas raison ?
– Eh bien ! quoi ? reprit-il. Lors même que je serais devenu plus raisonnable en vieillissant, après ? Je ne suis pas changé à votre égard. »
Elle secoua la tête.
« Suis-je changé ?
– Notre engagement est bien ancien. Nous l’avons pris ensemble quand nous étions tous les deux pauvres et contents de notre état, en attendant le jour où nous pourrions améliorer notre fortune en ce monde par notre patiente industrie. Vous avez bien changé. Quand cet engagement fut pris, vous étiez un autre homme.
– J’étais un enfant, s’écria-t-il avec impatience.
– Votre propre conscience vous dit que vous n’étiez point alors ce que vous êtes aujourd’hui, répliqua-t-elle. Pour moi, je suis la même. Ce qui pouvait nous promettre le bonheur, quand nous n’avions qu’un cœur, n’est plus qu’une source de peines depuis que nous en avons deux. Combien de fois et avec quelle amertume j’y ai pensé, je ne veux pas vous le dire. Il suffit que j’y aie pensé, et que je puisse à présent vous rendre votre parole.
– Ai-je jamais cherché à la reprendre ?
– De bouche, non, jamais.
– Comment, alors ?
– En changeant du tout au tout. Votre humeur n’est plus la même, ni l’atmosphère au milieu de laquelle vous vivez ; ni l’espérance qui était le but principal de votre vie. Si cet engagement n’eût jamais existé entre nous, dit la jeune fille, le regardant avec douceur, mais avec fermeté, dites-le-moi, rechercheriez-vous ma main aujourd’hui ? Oh ! non. »
Il parut prêt à céder en dépit de lui-même à cette supposition trop vraisemblable. Cependant il ne se rendit pas encore :
« Vous ne le pensez pas, dit-il.
– Je serais bien heureuse de penser autrement si je le pouvais, répondit-elle ; Dieu le sait ! Pour que je me sois rendue moi-même à une vérité aussi pénible, il faut bien qu’elle ait une force irrésistible. Mais, si vous étiez libre aujourd’hui ou demain, comme hier, puis-je croire que vous choisiriez pour femme une fille sans dot, vous qui, dans vos plus intimes confidences, alors que vous lui ouvriez votre coeur avec le plus d’abandon, ne cessiez de peser toutes choses dans les balances de l’intérêt, et de tout estimer par le profit que vous pouviez en retirer ! ou si, venant à oublier un instant, à cause d’elle, les principes qui font votre seule règle de conduite, vous vous arrêtiez à ce choix, ne sais-je donc pas que vous ne tarderiez point à le regretter et à vous en repentir ? j’en suis convaincue ; c’est pourquoi je vous rends votre liberté, de grand coeur, à cause même de l’amour que je vous portais autrefois, quand vous étiez si différent de ce que vous êtes aujourd’hui. »
Il allait parler ; mais elle continua en détournant les yeux :
« Peut-être… mais non, disons plutôt : sans aucun doute, la mémoire du passé m’autorise à l’espérer, vous souffrirez de ce parti. Mais encore un peu, bien peu de temps, et vous bannirez avec empressement ce souvenir importun comme un rêve inutile et fâcheux dont vous vous féliciterez d’être délivré. Puisse la nouvelle existence que vous aurez choisie vous rendre heureux ! »
Elle le quitta, et ils se séparèrent.
« Esprit, dit Scrooge, ne me montrez plus rien ! Ramenez-moi à la maison. Pourquoi vous plaisez-vous à me tourmenter ?
– Encore une ombre ! cria le spectre.
– Non, plus d’autres ! dit Scrooge ; je n’en veux pas voir
davantage. Ne me montrez plus rien !… »
Mais le fantôme impitoyable l’étreignit entre ses deux bras et le força à considérer la suite des événements. Ils se trouvèrent tout à coup transportés dans un autre lieu où une scène d’un autre genre vint frapper leurs regards ; c’était une chambre, ni grande, ni belle, mais agréable et commode. Près d’un bon feu d’hiver était assise une belle jeune fille, qui ressemblait tellement à la dernière, que Scrooge la prit pour elle, jusqu’à ce qu’il aperçût cette dernière devenue maintenant une grave mère de famille, assise vis-à-vis de sa fille. Le bruit qui se faisait dans cette chambre était assourdissant, car il y avait là plus d’enfants que Scrooge, dans l’agitation extrême de son esprit, n’en pouvait compter ; et, bien différents de la joyeuse troupe dont parle le poème, au lieu de quarante enfants silencieux comme s’il n’y en avait eu qu’un seul, chacun d’eux, au contraire, se montrait bruyant et tapageur comme quarante.
La conséquence inévitable d’une telle situation était un vacarme dont rien ne saurait donner une idée ; mais personne ne semblait s’en inquiéter. Bien plus, la mère et la fille en riaient de tout leur cœur et s’en amusaient beaucoup. Celle-ci, ayant commencé à se mêler à leurs jeux, fut aussitôt mise au pillage par ces petits brigands qui la traitèrent sans pitié. Que n’aurais-je pas donné pour être l’un d’eux ! Quoique assurément je ne me fusse jamais conduit avec tant de rudesse, oh ! non ! Je n’aurais pas voulu, pour tout l’or du monde, avoir emmêlé si rudement, ni tiré avec tant de brutalité ces cheveux si bien peignés ; et quant au charmant petit soulier, je me serais bien gardé de le lui ôter de force, Dieu me bénisse ! quand il se serait agi de sauver ma vie. Pour ce qui est de mesurer sa taille en jouant comme ils le faisaient sans scrupule, ces petits audacieux, je ne l’aurais certainement pas osé non plus ; j’aurais craint qu’en punition de ce sacrilège, mon bras ne fût condamné à s’arrondir toujours, sans pouvoir se redresser jamais. Et pourtant, je l’avoue, j’aurais bien voulu toucher ses lèvres, lui adresser des questions afin qu’elle fût forcée de les ouvrir pour me répondre, fixer mes regards sur les cils de ses yeux baissés, sans la faire rougir ; dénouer sa chevelure ondoyante dont une seule boucle eût été pour moi le plus précieux de tous les souvenirs ; bref, j’aurais voulu, je le confesse, qu’il me fût permis de jouir auprès d’elle des privilèges d’un enfant, et, cependant, demeurer assez homme pour en apprécier toute la valeur.
Mais voilà qu’en ce moment on entendit frapper à la porte, et il s’ensuivit immédiatement un tel tumulte et une telle confusion, que ce groupe aussi bruyant qu’animé qui l’entourait la porta violemment, sans qu’elle put s’en défendre, la figure riante et les vêtements en désordre, du côté de la porte, au-devant du père qui rentrait suivi d’un homme chargé de joujoux et de cadeaux de Noël. Qu’on se figure les cris, les batailles, les assauts livrés au commissionnaire sans défense ! C’est à qui l’escaladera avec des chaises en guise d’échelles, pour fouiller dans ses poches, lui arracher les petits paquets enveloppés de papier gris, le saisir par la cravate, se suspendre à son cou, lui distribuer, en signe d’une tendresse que rien ne peut réprimer, force coups de poing dans le dos, force coups de pied dans les os des jambes. Et puis, quels cris de joie et de bonheur accueillent l’ouverture de chaque paquet ! Quel effet produit la fâcheuse nouvelle que le marmot a été pris sur le fait, mettant dans sa bouche une poêle à frire du petit ménage, et qu’il est plus que suspecté d’avoir avalé un dindon en sucre, collé sur un plat de bois ! Quel immense soulagement de reconnaître que c’est une fausse alarme ! Leur joie, leur reconnaissance, leur enthousiasme, tout cela ne saurait se décrire. Enfin, l’heure étant arrivée, peu à peu les enfants, avec leurs émotions, sortent du salon l’un après l’autre, montent l’escalier quatre à quatre jusqu’à leur chambre située au dernier étage, où ils se couchent, et le calme renaît.
Alors Scrooge redoubla d’attention quand le maître du logis, sur lequel s’appuyait tendrement sa fille, s’assit entre elle et sa mère, au coin du feu ; et quand il vint à penser qu’une autre créature semblable, tout aussi gracieuse, tout aussi belle, aurait pu l’appeler son père, et faire un printemps du triste hiver de sa vie, ses yeux se remplirent de larmes.
« Bella, dit le mari se tournant vers sa femme avec un sourire, j’ai vu ce soir un de vos anciens amis.
– Qui donc ?
– Devinez !
– Comment le puis-je ?… Mais, j’y suis, ajouta-t-elle aussitôt en riant comme lui. C’est M. Scrooge.
– Lui-même. Je passais devant la fenêtre de son comptoir ; et, comme les volets n’étaient point fermés et qu’il avait de la lumière, je n’ai pu m’empêcher de le voir. Son associé se meurt, dit-on ; il était donc là seul comme toujours, je pense, tout seul au monde.
– Esprit, dit Scrooge d’une voix saccadée, éloignez-moi d’ici.
– Je vous ai prévenu, répondit le fantôme, que je vous montrerais les ombres de ce qui a été ; ne vous en prenez pas à moi si elles sont ce qu’elles sont, et non autre chose.
– Emmenez-moi ! s’écria Scrooge, je ne puis supporter davantage ce spectacle ! »
Il se tourna vers l’esprit, et voyant qu’il le regardait avec un visage dans lequel, par une singularité étrange, se retrouvaient des traits épars de tous les visages qu’il lui avait montrés, il se jeta sur lui.
« Laissez-moi ! s’écria-t-il ; ramenez-moi, cessez de m’obséder ! »
Dans la lutte, si toutefois c’était une lutte, car le spectre, sans aucune résistance apparente, ne pouvait être ébranlé par aucun effort de son adversaire, Scrooge observa que la lumière de sa tête brillait, de plus en plus éclatante. Rapprochant alors dans son esprit cette circonstance de l’influence que le fantôme exerçait sur lui, il saisit l’éteignoir et, par un mouvement soudain, le lui enfonça vivement sur la tête. L’esprit s’affaissa tellement sous ce chapeau fantastique, qu’il disparut presque en entier ; mais Scrooge avait beau peser sur lui de toutes ses forces, il ne pouvait venir à bout de cacher la lumière qui s’échappait de dessous l’éteignoir et rayonnait autour de lui sur le sol.
Il se sentit épuisé et dominé par un irrésistible besoin de dormir, puis bientôt il se trouva dans sa chambre à coucher. Alors il fit un dernier effort pour enfoncer encore davantage l’éteignoir, sa main se détendit, et il n’eut que le temps de rouler sur son lit avant de tomber dans un profond sommeil.
A suivre...