Critique - Lost River
Publié le 8 Avril 2015
Dans une ville qui se meurt, Billy, mère célibataire de deux enfants, est entraînée peu à peu dans les bas-fonds d’un monde sombre et macabre, pendant que Bones, son fils aîné, découvre une route secrète menant à une cité engloutie. Billy et son fils devront aller jusqu’au bout pour que leur famille s’en sorte.
Premiere réalisation du comédien Ryan Gosling, Lost River aura mis son temps à trouver le chemin des salles obscures. Un film d'abord présenté à Cannes en 2014, dans les sillages de son confrère Refn, puis remonté et peaufiné pour sa version finale, qu'on pourra découvrir dès mercredi au cinéma. Au casting, Eva Mendes, Ben Mendelsohn, Christina Hendricks, Saoirse Ronan, Iain De Caestecker, Matt Smith, Reda Kateb et Barbara Steele, autant de bonnes raisons de se laisser tenter. A-t-on été séduit par ce premier long ? On vous dit ça tout de suite.
Difficile de traduire l'histoire - plutôt simple en soit - sans en atténuer l'impact. Lost River c'est avant tout le récit d'une petite famille, une mère et son fils ayant chacun leurs alliés et leurs démons à exorciser. Le visuel et l'approche sonore font du film un spectacle onirique aux mélodies à la fois enfantines et sombres. On se plairait à voir ce long programmé au cours d'une nuit de cinéma de genre, au moment du film des années 70/80. Un cinéma avec ses méchants aux gueules cassées, sa galettes de filtres, ses paysages détruits et sales d'où parfois s'échappe un sursaut de beauté qui tient presque du fantasme. Lors de certaines scènes, on retrouve même une ambiance particulière qui séduira les amateurs de Lynch et de Eyes Wide Shut. Point d'orgue à cette mise en scène : la musique qui est partie intégrante du film et qui nous réserve quelques beaux morceaux, qu'on aurait aimé presque plus appuyés.
Ryan Gosling s'est entouré d'un beau casting pour donner vie aux personnages de ce conte sombre, avec des mentions spéciales à Saoirse Ronan et Ben Mendelsohn (décidément de tous les bons coups). Si on se demande si on arrivera à rentrer dedans - le style tranche dès les 1ères minutes, nos craintes sont heureusement vite dissipées. Une fois toutes les pièces sur l'échéquier c'est un trip des plus savoureux. On se prend à apprécier ce moment hors du temps, tandis que les personnages explorent les coins les plus enfouis de cette fameuse "rivière perdue".
Nous avons eu l'occasion d'assister à une rencontre avec le réalisateur et l'acteur Reda Kateb. On y a notamment appris que l'idée d'une ville igloutée vient directement de la jeunesse de Ryan Gosling. Ayant eu connaissance enfant que des villages avaient été parfois recouverts d'eau pour donner des rivières, Ryan avait même rechigné à s'y baigner. Le film doit beaucoup à ses lieux de tournage, en plein Détroit, et certains habitants ont parfois été invités à rejoindre l'action. "C'est vrai que quand vous vous promenez dans ces quartiers, il y a quelque chose de très surréaliste. On a l'impression que ces familles elles-mêmes se sentent les derniers habitants sur cette Terre. J'ai ressenti une impression de Twilight Zone. Je ne voulais pas faire un film qui soit spécifique de cette région. Je voulais plutôt que le public comprenne ce que j'ai vu là-bas. A travers le point de vue deux adolescents qui y grandissent et ont besoin d'une idée romantique, d'un espoir."
Le Grand Guignol et Hell Cafe ont été des sources d'inspiration, ainsi que - encore une fois - les lieux du tournage. "A Détroit, on retrouve des lieux où on peut s'adonner à ses instincts les plus bas et les plus sombres parce que personne ne regarde. J'ai voulu faire remonter cette noirceur à la surface, l'intégrer à la structure du conte de fées."
Quelle différence entre le montage de Cannes et celui d'aujourd'hui ? Surprise : c'est une question de droits qui a est à l'origine du montage. "J'avais utilisé certaines musiques que je pensais libres de droits. Certaines séquences étaient construites uniquement sur les musiques et j'ai été obligé de les supprimer. Mais je pense que ça marche mieux ainsi, et que ça a été pour le bien du film."
"J'étais étonné que Ryan sache qui j'étais, a avoué Red Kateb. J'avais beaucoup d'admiration pour lui en tant qu'acteur et je sentais que c'était quelqu'un qui avait un univers artistique qui dépassait les apparences. J'avais entendu sa musique, j'espérais que le scénario allait être bien. Je l'ai adoré. J'ai adoré l'idée de ce conte noir qui s'inscrit dans le réel. Il n'y avait pas beaucoup de dialogues, mais je savais que chaque personnage aurait son moment." Reda Kateb a salué la liberté du cinéma indépendant, duquel est notamment issu Ryan Gosling.
Merci à The Jokers et Léa.