Interview - Christophe Gans
Publié le 4 Février 2015
Lorsqu'il s'agit de parler cinéma fantastique, difficile de trouver un interlocuteur aussi passionnant que Christophe Gans. Cette année président du Jury Longs-métrages à Gérardmer, le cinéaste dit toujours ce qu'il pense, sans langue de bois, et n'hésite pas à confirmer la situation alarmante du cinéma de genre en France. Nous l'avons rencontré au Grand Hôtel de bon matin, avant la première projection de la journée.
On commence par évoquer avec lui le cinéma de Hammer, cette année mis en lumière par le Festival. En plus d'une expo, une rencontre sera organisée le jour-même, avec Gans comme intervenant. Le réalisateur a un attachement tout particulier pour la firme britannique : "Ca fait partie des premiers films d'horreurs que j'ai vus quand j'étais môme. La première chose dont je me souvienne, ce sont les affiches. Avant même de pouvoir les voir, je rêvais devant les affiches des films de la Hammer qui étaient très colorées, très érotiques, avec des monstres, des filles avec des décolletés vertigineux. Voir ces affiches ça me faisait complètement tripper."
Il allait ensuite voir les films en question et le faisait souvent en cachette de ses parents, ces derniers bien loin de s'imaginer les horreurs qu'allait voir leur fils. Ce ne sont que des années après ces séances que Gans a appris à connaître plus en détails la Hammer et son importance dans le paysage cinématographique. "[Elle
Ce n'est donc pas une coïcidence si l'on retrouve la Hammer dans plusieurs de ses films : "La Belle et la Bête est bourré jusqu'à la gueule de clins d'oeil à Hammer. Vraiment. Des plans entiers", pousuit-il en nous donnant comme références les noms de Terence Fisher ou de Don Sharp.
La Belle et la Bête, parlons-en. Le film est sans aucun doute le projet le plus ambitieux porté par le cinéma français ces dernières années. Un long-métrage fantastique qui a coûté 30 millions d'euros, autant que Silent Hill et La Pacte des Loups. "C'est beaucoup d'argent, mais ça n'excéde pas les standards [du cinéma français]." La Belle et la Bête a connu un beau succès à l'étranger, devenant un carton considérable au Japon par exemple. D'autres territoires s'apprêtent à l'accueillir, pour un total estimé à 5,5-6 millions de spectateurs qui s'ajoutent à sa carrière française. "Le film devient très viable dans ces conditions-là. Mais
il faut bien choisir ses projets. Le Pacte des Loups est un film très spectaculaire, Silent Hill est inspiré d'un jeu vidéo qui est méga culte, La Belle et la Bête est un titre qui dit quelque chose à tout le monde."
L'occasion d'évoquer son prochain film : "Ce que je peux en dire, c'est que c'est un film d'aventure situé au XIXème siècle et qui brasse l'aventure et la science-fiction sur un mode rétro. Beaucoup d'action et c'est entièrement tourné en studio, tout en extensions numériques comme La Belle et la Bête. Un gros machin mais familial, pour tous." Un film qui selon toute vraisemblance sera tous publics : "C'est plus difficile aujourd'hui de faire un film même interdit aux moins de 12 ans. Ca s'est sacrément resseré là-dessus car la télévision n'en veut plus. Tous mes autres films sont interdits aux moins de 12 ans et n'ont pas eu de problème, mais, aujourd'hui, quasiment dans le montage financier, on te dit : "c'est hors de question"."
Ce nouveau projet confirme la volonté de Gans de s'essayer à plusieurs genres : "J'ai toujours essayé de revendiquer que ce serait bien qu'on ait un cinéma de l'imaginaire en France, un cinéma qui embrasse plusieurs genres. Je passe allègrement du polar à la hong-kongaise au film d'époque, au film d'horreur, je reviens sur le film féérique. Ce que je veux dire c'est que j'essaie de brasser des choses pour rappeler aux gens que dans la tradition française aussi, que ce soit picturale ou littéraire, il y a les bases pour faire ça. La Belle et la Bête par exemple, tout le travail qu'on a fait sur le visuel du film à partir des peintures du Second Empire c'est vraiment une revendication de dire : "ça existe chez nous, il n'y a pas de raison". Outre le fait que c'est un conte français. J'ai envie de cette revendication."
Christophe Gans est aujourd'hui l'un des derniers représentants du cinéma fantastique en France, et il en a conscience : "C'est vrai que je me sens un peu seul. C'est-à-dire que là je me retrouve quasiment dans une attitude de franc tireur. A un moment il y a eu ce courant qui a commencé de "french frayeurs", mais qui s'est finalement tari et aujourd'hui.. ils tous sont obligés de partir. La seule voie [pour ces réalisateurs] est d'aller tourner des films pour des studios américains comme Miramax ou Millénium." Un constat qui attriste Gans. "Il y a quelques chose qui est complètement aberrant. C'est toujours pareil : Qu'est-ce qu'on fait de nos ressources ? Pourquoi est-ce que les gens partent ?"
Le cinéma français risque-t-il se renfermer sur un genre en particulier ? "Les comédies. Regarde un peu les seuls films français qui ne sont pas des comédies qui ont marché en 2014, ce sont Yves-Saint-Laurent et La Belle et la Bête. Y en a que deux qui ont marché. Donc si tu veux, ça réduit sacrément le truc."
Considéré par les médias comme un film français, le Lucy de Luc Besson est un cas à part pour Gans. "Besson a parfaitement humé la façon dont le marché évolue. Lucy, c'est une adaptation encore une fois de Nikita, mais avec beaucoup d'ajouts manga/japanim et une star américaine. Taken, à ce moment là [c'est français aussi]. Besson sait ce qu'il fait. C'est-à-dire que le succès de Lucy n'est pas étonnant. Ce qui me terrifie moi au-delà de ça, c'est que on voit les français s'enorgueillir du succès d'un film qui n'est pas parlé dans notre langue, qui n'est pas joué par des français. A partir de là, à un moment donné, faisons tous cela. En même temps, c'est possible. Silent Hill, ce n'est pas autre chose. Je ne prétends pas que c'est un film français. Oui, le film a été initié par des français, mais à part le producteur, le monteur et moi, il n'y a personne de français sur ce film. Si, les bruiteurs sont français."
En voie de disparition en France, le cinéma de genre est toujours très important dans le reste du monde. Nous abordons alors le cas de la science-fiction aux Etats-Unis qui se perpétue toujours malgré des recettes en baisse. "Je pense que c'est un genre sur lequel les patrons de studios misent beaucoup parce qu'il permet de montrer la puissance de feu de l'industrie américaine, notamment en termes technologiques. Ce sont des films qui permettent de montrer l'évolution des effets spéciaux, d'utiliser de nouvelles caméras. Maintenant, la science-fiction n'est pas gagnante à tous les coups. Moi, je suis surtout triste pour Edge of Tomorrow que j'aime énormément. [...] Avec Oblivion et Elysium, ce sont des films qui auraient mérité de mieux marcher."
Ils ne trouvent pas le même amour pour Pacific Rim, Godzilla et Man of Steel : "Ce sont des films avec de graves carrences. Mal écrits, visiblement coupés au montage, généralement joués par des acteurs effroyables. Les trois mecs qui sont les trois leads de ces trois films, ce sont réellement parmi les pires acteurs qu'on ait vu sur un écran ces dernières années. Donc voilà, pourquoi bâtir des films de 200 millions sur des gens qui ne sont pas de vrais acteurs ? Je suis beaucoup plus intéressé quand je vois un film comme World War Z avec Brad Pitt ou Edge of Tomorrow avec Tom Cruise parce que ce sont des vrais acteurs."
"La science-fiction n'est pas nécessairement un genre qui marche à tous les coups et les patrons de studios ont tendance à continuer à considérer que la science-fiction peut se passer de bons acteurs. Je pense que ce n'est pas possible. La preuve c'est que les films de super-héros font très attention d'avoir de bons acteurs, d'avoir des scripts assez élaborés et le grand chelem de la Marvel est à mon avis assez significatif. Quatre films qui sont quatre bons films et qui sont des films qui ont ramassé beaucoup de pognon. Dont Les Gardiens qui est un film totalement original, super bien interprété, rigolo, bon esprit et qui est un des trois cartons de l'année. C'est la preuve qu'il faut d'abord faire attention à ça."
"Le problème du cinéma américain c'est que les gens continuent à faire une distinction entre les films pour Oscars et ces gros machins que parfois ils confectionnent sans beaucoup de soin. Et Marvel a tendance à leur prouver que quand ils ont envie [ils peuvent faire de bons films qui marchent]."
On termine avec un regard sur le petit écran, qui semble devenir un refuge pour de plus en plus d'auteurs. "Il y a une liberté dans les séries qu'on n'a plus en salles. Notamment au niveau de l'approche de la nudité, de la violence. C'est déchaîné à la télé, ça n'existe plus au cinéma. On n'a plus le droit, aujourd'hui au cinéma, de filmer quelqu'un de nu de face, c'est fini. Alors que à la télé, ça y va gaiement. On n'a plus le droit d'un certain niveau de violence à l'encontre des enfants. A la télé, oui. On voit le 1er épisode de Penny Dreadful, avec la petite fille découpée en morceaux. Il y a un certain nombre de tabous dans le cinéma qui à la télé n'existent pas. On en parlait avec [Alexandre] Aja : on marche sur la tête. Pourquoi à la télé ils ont le droit de montrer ça et nous non ? Je crois que la télé est aujourd'hui un espace de libertés où les choses se passent vraiment."
Et pour ce qui est de la production française ? "Les Revenants, c'est formidable. Je vais être très dûr, mais je crois que c'est la seule série française en 20 ans que j'ai réussie à regarder jusqu'au bout. La seule série que j'ai suivie avec passion. Le reste, je ne peux pas. Et je suis un gros consommateur de séries, britanniques et américaines." Quand on lui fait remarquer que Les Revenants s'exporte très bien à l'étranger et est devenu un phénomène mondial : "Absolument. Comme par hasard !" On ne peut alors que rêver de productions nationales qui se donneraient les moyens et qui pourraient ainsi peut-être briller sur un plan international.
Merci à Christophe Gans, Clément et l'ensemble de l'équipe de Gérardmer 2015.
Entretien mené par Piwi_47 des Chroniques de Cliffhanger et moi-même.
Photo © Gerhard Kassner