Interview - Alexandre Aja

Publié le 13 Février 2015

Interview - Alexandre Aja

Lorsque l'on pense cinéma de genre français, on arrive rapidement à parler du cas Alexandre Aja. Un réalisateur brillant qui a été propulsé par son premier film sous les lumières d'Hollywood, où il tourna successivement La Colline a des yeux, Mirrors, Piranha 3D et Horns. Et comme nous le disait si justement Christophe Gans "avec succès. C'est là que c'est vertigineux : Alexandre a du succès. Ce n'est pas un réalisateur qui est parti faire 3-4 séries Z au Texas. C'est un type qui a du succès, qui est reconnu, dont le nom est reconnu. qui parle tous les jours aux studios pour tel ou tel film". Profitant de sa présence dans le Jury de Gérardmer, nous avons été à la rencontre d'Alexandre Aja afin d'en savoir plus sur que lui pensait de la situation actuelle du cinéma de genre, aussi bien en France qu'à l'étranger.

Interview - Alexandre Aja

Tradition à Gérardmer, chaque séance s'ouvre sur un montage des monstres Universal où chacun peut y mettre de la voix, le cri le plus populaire étant évidemment celui du loup-garou. "Je ne l'ai jamais fait", nous confie Alexandre Aja avec un sourire. Pas encore, tout du moins. Lui qui n'en est pas à son premier festival, il prend pourtant toujours autant de plaisir à y participer. "Je trouve qu'il y a quelque chose de propre au festival de genre. Une ambiance qui est unique. J'ai découvert ça à Bruxelles à l'époque du rafting sur foule (en vidéo, ndlr). La salle était un petit peu inclinée, il y avait les zodiacs, des gens dedans qui étaient sur le public, et c'était une course. Intervilles avant le film." A Gérardmer cette année, nous nous sommes contentés d'une bataille de boules de neige et de lancers de chamallows. Moins impressionnant c'est sûr, mais pas si mal non plus.

"Il y a quelque chose d'assez magique dans ces ambiances-là. C'est difficile de venir présenter des drames, mais je trouve que, ici, il y a quand même un respect, en comparaison avec d'autres festivals où les gens sont vraiment là pour le genre dans son expression la plus sanglante. Il y a ici une curiosité plus auteur dans l'appréhension du film ce qui est assez intéressant. C'est propre à Gérardmer je trouve."

Interview - Alexandre Aja

Les festivals comme Gérardmer vont avoir un rôle qui va s'accentuer avec les années : "L'évolution du marché et de l'exploitation des films fait que les festivals vont devenir de plus en plus importants pour les films. Quand [Alex] Garland disait "Les films ont besoin des festivals", [il avait raison], L'exposition VOD va devenir universelle pour tous ces films-là d'auteur, en les détachant bien évidemment de la sale étiquette de Direct-to-Video. Les festivals vont faire la différence. [Mais], ça a toujours été le cas : d'être connu, d'être présent, de créer un buzz."

Ce que Aja rapproche de sa propre histoire : "C'est vrai que Haute Tension, ça a commencé par le TIFFF, ça a continué avec Sitges et après confirmé avec Sundance. Ca a énormément aidé. A Gérardmer, il se retrouve du côté des spectateurs. "Quand on fabrique [nos films], on en parle avec d'autres amis mais c'est vrai qu'on n'a jamais l'occasion de confronter notre point de vue avec d'autres gens. Etre dans le jury, c'est une occasion géniale de voir des films ensemble, de pouvoir en parler, d'apprendre différentes visions. L'unanimité n'est jamais là et c'est justement ça qui est intéressant."

Interview - Alexandre Aja

Beaucoup de festivals de genre en France et très peu de productions françaises. A-t-on atteint un seuil critique ? "Le cinéma de genre français est mort, quasiment. Ou agonise de manière absolue. Christophe [Gans] est l'un des dinosaures. Il a fait le seul film fantastique à grand budget, en français, cette année. Moi, je suis extrêment triste et négatif sur cet état où on n'a pas réussi ce que l'Espagne a réussi si brillamment. Ils ont réussi à établir un cinéma de genre en espagnol révélant des réalisateurs absolument monstrueux, ayant une reconnaissance à la fois critique et publique. L'Orphelinat, REC, ce sont des films qui font des millions d'entrées."

Des scores bien loin de ce que font nos productions nationales. "En France, peu importe le film, que ce soit Haute Tension, Martyrs, Frontières, A l'intérieur, tous, il n'y en a pas un qui fait plus de 150 000 entrées. Et c'est absolument monstrueux, c'est terrible. Economiquement, ce n'est pas viable, donc il y a un problème. Il y a un noyau hardcore de gens qui vont voir ces films-là. Qui sont les lecteurs de Mad [Movies], de L'écran fantastique, qui sont "nous". Mais au-delà de ce groupe, il y a une sorte apriori, de concensus implicite dans le public français qui pense que, un film d'horreur fait en français, ça ne peut pas marcher. Avec des acteurs français, ça ne peut pas marcher, c'est cheap, ça ne va jamais égaler [les productions étrangères]."

"Et pourtant ils vont donner leur chance à du cinéma de genre asiatique, à du cinéma de genre anglais, américain évidemment, ou espagnol. Mais, les films français, il y a une sorte de "non ce n'est pas possible". Alors est-ce que c'est un échec de notre côté, des gens qui font les films ? De ne pas avoir fait des films assez incroyables pour que le public change d'avis ? Peut-être. Parce que c'est vrai que des films comme Martyrs ou A l'intérieur ne sont pas accessibles comme REC ou The Descent peuvent l'être. [Ces deux-là] sont des films absolument terrifiants, mais qui ont quand même une faculté d'aller au-delà de quelque chose de trop intime, de trop gore, de trop marginal. Ou alors est-ce que c'est le public qui a vraiment des aprioris à la con et qui est difficile à changer ?"

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Le problème se répercute dès le financement : "La production elle-même est difficile parce que la production française se fait principalement sur des pré-achats. Un film se fait généralement avec une chaîne hertzienne ou une chaîne du câble, Canal+ et l'aide du CNC, un distributeur. A partir du moment où les chaînes de télé n'achètent rien qui ne serait pas "interdiction aux moins de 12 ans", il y a une censure indirecte des partenaires financiers qui fait que la production française est mal barrée. Et le fait qu'il n'y ait pas de public. Si on faisait des films d'horreur et que tout d'un coup Martyrs faisait 1 million d'entrées, peu importe le fait que France 2 n'ait pas acheté Martyrs, c'est pas grave. Mais comme tout s'accumule il n'y a pas d'arrivée. Et c'est très très compliqué, il n'y a pas d'engouement, il faudrait que des groupes, des mini-majors se lancent avec un véritable investissement et une prise de risque pour faire exister ces films-là."

Interview - Alexandre Aja

Dans le reste du monde, le cinéma de genre continue d'exister, mais c'est la fenêtre d'exploitation qui change. "Ce qui se passe en ce moment avec la VOD aux Etats-Unis et qui à mon avis va s'étendre au reste du monde, [c'est ce qui attend le genre]. C'est-à-dire que ce sera des tournées de festivals avec des sorties [VOD et au cinéma dans des nombres limités de salles]. J'espère que la France continuera de résister, continuera à sortir des films, mais c'est vrai que l'exploitation VOD va devenir très vite [omniprésente]. En tant que fan, ce n'est pas si mal que ça. On entend parler d'un film qui a fait sensation à Fantastic Fest et puis tout d'un coup on va pouvoir le voir deux mois plus tard."

J'espère que ce changement dans l'exploitation des films va permettre au cinéma de genre de reprendre, de redevenir un vrai cinéma d'auteur. Et la sélection [du festival] montre qu'on a vraiment à faire à un cinéma d'auteur, qui n'est pas un cinéma de pure divertisemment, mais vraiment un cinéma qui essaie de dire des choses, de réfléchir, d'avoir un style, de ne pas s'inspirer. La démarche post-moderne qui était un peu le danger du genre, de s'auto-référencer en permanence, devient quelque chose qui appartient plus au passé. On sent qu'il y a vraiment des auteurs qui arrivent avec des films qui sont à la fois visuellement incroyables et narrativements intéréssants, qui posent des questions. Il y a une évolution, ça bouge."

De nouveaux films qui accompagnent la constante réinvente du genre "Ca se réinvente à chaque fois. Si ça ne se réinvente pas, ça crée de l'ennuie et les spectateurs se lassent parce qu'ils anticipent. C'est très intéressant dans les festivals de voir avec le public, qui est un public acquis. Les gens qui sont là dans les projections sont des gens qui ont envie de voir ce type de film. On arrive en terre conquise donc et c'est intéressant de voir comme les vieilles formules, les vieux clichés ça ne prend pas. Les gens se lassent de ça, il n'y a pas d'envie. On sent dans le public une sorte de rejet et - au contraire - quand le film se réinvente, quand il y a des surprises, là ça change tout, ça prend et ça devient réellement intéressant."

Interview - Alexandre Aja

Alexandre Aja s'écarte du cinéma d'horreur avec son prochain film, The 9th Life of Louis Drax. Il nous en a fait une très prometteuse présentation. "Le film est basé sur un livre de Liz Jensen. Anthony Minghella devait le réaliser. Son fils Max avec qui j'ai travaillé sur Horns a écrit un script qu'il m'a remis. Le plus beau script de que j'ai jamais lu, une histoire absolument bouleversante. Je ne connaissais pas encore le livre, mais je savais qu'il fallait que je le fasse. L'histoire commence à San Francisco. Un petit garçon de 9 ans tombe d'une falaise et se retrouve dans le coma. C'est une sorte de double-enquête, de thriller psychologique. D'un côté, on suit l'enquête de cet enfant, dans le monde inconscient du coma, qui essaie de remettre les pièces du puzzle ensemble, de comprendre ce qui lui est arrivé, pourquoi il est tombé. Est-ce qu'il est tombé ou est-ce que quelqu'un l'a poussé ? De l'autre côté, [on suit] le docteur qui tente de le ramener à la surface, qui se faisant va tomber amoureux de sa mère et va se retrouver lui aussi au coeur d'un autre mystère, autour de la personne qui a poussé cet enfant. Donc c'est une sorte de film à plusieurs couches, sur les mystères, les choses les plus sombres que l'esprit humain peut cacher. Il y a du fantastique, un fantastique dans un monde onirique."

Alexandre Aja a encore une fois réuni un beau casting et en est très content : "Ce sont trois personnages qui pour des raisons différents ont tous un retournement,  des personnages assez complexes avec pas mal d'épaisseur. Aaron Paul s'est imposé assez vite, Sarah [Gadon] aussi. J'avais envie de travailler avec Sarah. Dans Cosmopolis et Maps to the stars, il y avait quelque chose qui grandissait avec elle. Et Jamie [Dornan] qui pour moi est un peu sous-estimé par rapport à ce qu'il a fait pour le genre. The Fall est une série assez intéressante. Son interprétation est très loin de l'interprétaion habituelle de ce genre de rôle. Il a ce côté extrêmement froid, simple, minimaliste dans l'incarnation de ce tueur [et qui convient parfaitement]."

Interview - Alexandre Aja

Il termine en glissant quelques mots sur The Other Side of the Door - qu'il produit, actuellement "en fin de post-production". "C'est un film de maison hantée qui se passe à Dubai. Tout le film se passe en Inde sur fond d'hindouisme et de religion, de réincarnation. C'est un scénario original qu'a écrit Johannes [Roberts] qui m'a foutu une claque. On retrouve le meilleur de Simetierre, mais tout cela avec un côté exotique."

"Sans vraiment le vouloir, on a commencé à travailler avec Fox International sur des sujets qui impliquent des américains ou des anglais dans des pays étrangers, sur du genre. The Pyramid en Egypte, celui-là en Inde. On regarde, on recherche, peut-être d'autres derrière. Il y a énormément de sujets super intéressants sur le côté de sortir les gens de leur contexte. Sur la maison hantée c'était difficile de faire quelque chose de refraichissant. Dès que tu arrives en Inde, tout prend une autre dimension."

Merci à Alexandre Aja, Clément et l'ensemble de l'équipe de Gérardmer 2015.
Entretien mené par Piwi_47 des Chroniques de Cliffhanger et moi-même.
Photo © John Shearer

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