Dossier - Into the Woods de Rob Marshall

Publié le 8 Décembre 2014

Dossier - Into the Woods de Rob Marshall

À travers un regard résolument moderne et décalé, Into The Woods, Promenons-nous dans les bois revisite quelques-uns des plus célèbres contes de fées. Les intrigues de plusieurs histoires bien connues se croisent afin d’explorer les désirs, les rêves et les quêtes de tous les personnages. Cette comédie musicale aussi enjouée qu’émouvante suit Cendrillon, le Petit Chaperon rouge, Jack et le haricot magique et Raiponce, tous réunis dans un récit original où interviennent également un boulanger et sa femme qui espèrent fonder une famille, mais à qui une sorcière a jeté un mauvais sort…

Studio CinéLive présentait récemment Into The Woods comme "une comédie musicale qui mêle contes de fées, sexe et mort". Voilà qui met les choses à plat. En effet,  si le musical reprend plusieurs contes connus du grand public, il leur invente aussi de nouvelles tournures, détourne le message original, et c'est sans doute grâce à tous ces partis pris qu'il a laissé une telle empreinte dans le genre. Un succès à la fois critique et public puisque c'est aujourd'hui l'oeuvre la plus jouée de toutes celles (cumulées) du compositeur Stephen Sondheim. Bonne nouvelle, malgré quelques ajustements, l'adaptation de Rob Marshall n'aurait pas l'intention de dénigrer le caractère adulte de l'original.

En attendant de découvrir le film - le 28 janvier en salles, replongeons-nous dans l'histoire de cette comédie musicale pas comme les autres.

Dossier - Into the Woods de Rob Marshall

Les origines d'Into The Woods

Nous sommes au milieu des années 80. Après le triomphe de leur collaboration sur Sunday in the Park with George, Stephen Sondheim souhaite retrouver au plus vite l'auteur de livret James Lapine. Il lui propose alors l'idée d'un musical qui suivrait l'accomplissement d'une quête. Il prend pour modèle un film qu'il affectionne tout particulièrement : Le Magicien d'Oz de Victor Fleming. James Lapine n'est pas que peu séduit, ayant conscience de la difficulté que représente la tâche. Les possibilités sont infinies pour cette quête imaginaire, et la pièce devra retenir l'attention du public pendant plus de deux heures. Il préfère dès lors se rattacher à quelque chose d'existant et suggère de s'appuyer sur un conte.

Mais, là encore, un problème de taille - ou plutôt de longueur - se pose. Les contes sont surtout connus pour être d'une forme brève, avec une intrigue et des personnages rudimentaires. De ce fait, une adaptation obligerait à développer à outrance les intrigues secondaires afin d'obtenir une durée acceptable. Le projet avorte jusqu'à ce que Sondheim se rappelle d'un concept qu'il avait proposé pour la télévision. Il s'agissait d'une sorte de cross-over géant dans lequel des héros de sitcom seraient victimes d'un accident de la route. Après l'impact, ils seraient amenés à croiser divers personnages de séries policières et médicales. Si le feuilleton n'a jamais vu le jour, Sondheim a pu reprendre cette base pour la création d'Into The Woods. Les histoires de nos héros de contes vont donc pouvoir s'imbriquer les unes dans les autres pour n'en former qu'une.

Dans les bois de Sondheim

Les spectacles de Broadway se composent traditionnellement de deux actes, et Sondheim décide ici de conclure son histoire au premier acte pour la relancer de plus belle dans un second acte pour le moins inattendu. Lors des premières représentations, certains spectateurs ont ainsi été déconcertés par cette méthode et ont dû être rattrapés alors qu'ils pensaient le spectacle terminé. Heureusement pour eux car ils auraient loupé une partie des plus intéressantes puisque c'est seulement après l'entracte qu'apparaissent les conséquences des actes de chaque personnage, et le gain en maturité associé. Et si le passage à l'adulte devait se passer dans ces bois, lieu commun à tant de contes ?

Les contes regroupés ici sont parmi les connus. On retrouve ainsi Cendrillon, Jack et le haricot magique, Raiponce et Le Petit Chaperon Rouge. Les histoires traditionnelles sont racontées et de nouveaux liens sont créés entre les personnage. Parmi ces derniers, n'oublions pas bien sûr le couple du boulanger et de sa femme, sans doute le plus proche de nous par ses préoccupations plus quotidiennes, des Américains moyens projetés dans un monde de sorcières, princes et géants. Et tout n'est pas toujours rose dans ce monde. Sans trop en dévoiler, le "ils vécurent heureux" traditionnel sera remis en question en de nombreuses occasions.

Dossier - Into the Woods de Rob Marshall

Le succès du musical

Présent à Paris pour An American in Paris, le producteur de Broadway Stuart Oken nous confiait "qu'il est beaucoup moins risqué pour un projet de se lancer en dehors de New York". Cela permet au spectacle d'être peaufiné au calme avant l'effervescence de la 42ème avenu. C'est ainsi qu'Into The Woods a été lui même lancé en Californie en décembre 1986. Cinquante représentations sous la direction de James Lapine avec déjà une grande partie du cast de Broadway. Des ajustements ont été faits et c'est notamment au cours de ce premier run qu'a été ajoutée la chanson No One is Alone qui deviendra par la suite l'une des plus populaires du show.

5 novembre 1987. Les lumières de Broadway brillent de mille feux pour la première d'Into The Woods et son casting mythique porté par Bernadette Peters, Joanna Gleason, Chip Zien, Kim Crosby, Ben Wright et Danielle Ferland. Nommé 10 fois aux Tony Awards, il en remportera trois : celui de la meilleure musique pour Stephen Sonheim, celui du meilleur livret pour James Lapine et celui de la meilleure actrice pour la "Femme du Boulanger" Joanna Gleason. Ce n'est pas rien de rappeler que le musical affrontait cette année-là Le Fantôme de l'Opéra d'Andrew Lloyd Webber ! Ce qui donne un prestige encore plus grand à ces trois prix déjà amplement mérités.

La carrière d'Into The Woods s'est poursuivie sur Broadway pendant près de deux années avec un total de 765 représentations. Ce qui reste loin des records de longévité certes, mais un musical ne meurt jamais vraiment. De nombreuses relectures et exportations ont été réalisées depuis, sans compter les versions étudiantes. Citons par exemple la version du West End de 1990 avec quelques ajouts dont une nouvelle chanson. Le metteur en scène Richard Jones et la "Femme du Boulanger" Imelda Staunton seront récompensés aux prix locaux, les Oliver. Mais ce n'est pas tout pour Londres et New York : des années après la fin des réprésentations, des revival verront le jour dans les deux villes. La version de Broadway remportera même le Tony Award du meilleur revival en 2002.

Dans les pays qui ont accueilli Into The Woods, on trouve aussi bien l'Australie que Singapour, l'Espagne ou la France. Et oui, le musical a eu le droit à sa production sur Paris, au Théâtre du Châtelet, et pas plus tard qu'en avril dernier. Huit représentations dirigées par David Charles Abell qui reprenait les différents ajouts des précédentes versions, le tout en version originale (sur-titré). Une belle occasion de découvrir le musical, avec la qualité qui semble habiter chacune des grandes productions du Châtelet : des décors et costumes sublimes (les bois, sous la forme d'une énorme plateforme tournante!), de vrais trouvailles de mises en scène et des interprètes fantastiques.

Les (tentatives) adaptations

Une telle reconnaissance autour du monde, ça incite forcément des producteurs à se poser la question de l'adaptation filmique. Il faut tout d'abord savoir qu'il est déjà possible de voir le musical chez nous. Le cast original de Broadway s'est en effet réuni en 1989 pour une représentation unique, qui sera par la suite diffusée à la télévision et proposée en DVD. Into The Woods fait donc partie des rares shows pour lesquels il existe une captation officielle. Une édition Blu-Ray est même disponible en import depuis cette fin d'année.

Pour ce qui est des films, Sondheim fait part dans son livre Look, I Made A Hat de deux castings qui ont failli accompagner le musical à l'écran dans les années 90 :

"La première lecture du script comportait entre autres Martin Short (le Boulanger), Julia Louis-Dreyfus (la Femme), Neil Patrick Harris (Jack), Mary Steenburgen (sa mère), Kathy Najimy (Florinda), Janeane Garofalo (Lucinda), Cynthia Gibb (Cendrillon), Rob Lowe (le Prince), Christine Lahti (la Sorcière), Daryl Hannah (Raiponce) et Michael Jeter (le Géant).

La seconde lecture comprenait encore plus de grands noms : Robin Williams (le Boulanger), Goldie Hawn (la Femme), Cher (la Sorcière), Carrie Fisher (Lucinda), Bebe Neuwirth (Florinda), Moira Kelly (Cendrillon), Kyle MacLachlan (le Prince de Cendrillon), Brendan Fraser (le Prince de Raiponce), Elijah Wood (Jack), Roseanne Barr (sa mère), Danny DeVito (le Géant), et Steve Martin (le Loup). Tout ça et Jim Henson, aussi."

Impossible de ne pas se laisser rêver à imaginer ce qu'aurait pu donner de tels acteurs dans les rôles concernés. La mention de Jim Henson tient au fait que le studio des Muppets devait s'occuper de donner vie aux animaux du film, via des marionnettes dont ils ont la spécialité. Rob Minkoff (Le Roi Lion) avait signé pour réaliser le film, qui prévoyait de nombreux changements outre quatre à six nouvelles chansons par Sondheim (dont Rainbows). Des reports et des nouveaux castings plus tard (Billy Crystal, Meg Ryan et Susan Sarandon ont aussi été envisagés), le projet d'un film Into The Woods a disparu au fin fond d'un tiroir.. jusqu'à aujourd'hui !

To be continued..

Dossier - Into the Woods de Rob Marshall

Into the Woods - Promenons-nous dans les bois sortira sur les écrans français le 28 janvier 2015.

Bibliographie pour ce dossier

Look, I Made a Hat: Collected Lyrics (1981-2011) - Stephen Sondheim
Ce bois dont on fait les contes - Alain Perroux
"Wishes come true, not free" - Olivier Rouvière
Deux actes, trois actes... ou un seul ? - Stephen Sondheim

Merci à Cliffhanger qui m'a retrouvé la citation du Studio CinéLive que je cherchais.

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